Responsabilité des administrateurs en cas de faillite

En droit des sociétés belge, la règle générale est que les administrateurs d’une société ne sont pas personnellement responsables des dettes de la société. Cela signifie que les créanciers d’une société en faillite cherchent d’abord à recouvrer leurs créances sur les actifs de la société elle-même.

Cependant, il existe des exceptions à cette règle.

Les administrateurs de personnes morales peuvent être tenus responsables en vertu du droit commun, du droit des sociétés ou du droit de l’insolvabilité.

La responsabilité des administrateurs peut être civile ou pénale. Dans le cas de la responsabilité civile, les créanciers de la société peuvent intenter une action en justice contre les administrateurs pour récupérer les dommages subis. Dans le cas de la responsabilité pénale, l’administrateur peut même être poursuivi pénalement pour insolvabilité frauduleuse ou détournement d’actifs de la société.

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Au niveau civil, il existe essentiellement deux types de responsabilité :

Le premier type ne peut être invoqué qu’en cas de faillite, comme la responsabilité des fondateurs en raison d’un capital manifestement insuffisant et la responsabilité pour des erreurs manifestement graves ayant contribué à la faillite.

Le deuxième type de responsabilité peut survenir même en dehors d’un scénario de faillite. Il peut s’agir de la responsabilité en vertu de l’article 1382 du Code civil belge (responsabilité extracontractuelle), de la responsabilité pour des erreurs de gestion ordinaires (responsabilité contractuelle), de la violation de la loi ou des statuts, de la non-application de la procédure d’alerte, etc.

Dans certains cas, les administrateurs peuvent être personnellement responsables des dettes de la société :

1) Erreur manifestement grave ayant contribué à la faillite (article XX.224 du Code économique belge) ;

C’est le cas lorsque les administrateurs n’ont pas correctement rempli leurs obligations, par exemple en ne respectant pas leurs obligations en matière de comptabilité, de comptes annuels et de déclaration.

Cela peut également être le cas lorsque les administrateurs ont effectué des paiements illicites aux actionnaires, ou lorsqu’ils ont pris des risques déraisonnables avec les actifs de la société.

Il doit y avoir une erreur manifestement grave ou une négligence de la part de l’administrateur qui a contribué à la faillite.

L’erreur manifestement grave est considérée comme une erreur manifeste qu’un administrateur normal, prudent et raisonnable placé dans les mêmes circonstances n’aurait pas commise. En d’autres termes, une simple erreur de jugement qu’un administrateur normal aurait commise n’est pas une erreur manifestement grave.

L’erreur doit avoir contribué à la faillite. Cela signifie que l’erreur manifestement grave ne doit pas nécessairement être la cause principale de la faillite.

L’erreur grave renvoie à un caractère exceptionnel de l’erreur :

  • Par exemple, la poursuite d’une activité déficitaire entraînant un dépôt tardif des comptes,

  • le non-paiement systématique des dettes publiques,

  • une politique financière imprudente,

  • le mépris flagrant de l’intérêt de l’entreprise,

  • des systèmes frauduleux et de renaissance,

  • une préférence accordée à l’administrateur.

Cette responsabilité s’applique aux (anciens) administrateurs de toutes les entreprises, à l’exception des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle indépendante. Cependant, il existe une exception pour les petites entreprises (sociétés et organisations sans but lucratif) (chiffre d’affaires moyen < 620 000 EUR (hors TVA) au cours des trois années précédant la faillite, total du bilan de la dernière année financière < 370 000 EUR).

Le droit de réclamation appartient au curateur, et si le curateur n’agit pas, au créancier. Le curateur/tiers doit démontrer un lien de causalité limité.

Il est important de souligner que la responsabilité des administrateurs n’est pas automatiquement établie. Il doit être démontré qu’il y a des erreurs évidentes et graves dans la gestion de l’entreprise, telles que la poursuite d’une politique imprudente, la tenue de livres inappropriés ou le non-respect des obligations légales.

Si la responsabilité des administrateurs est établie, ces derniers peuvent être tenus personnellement responsables des dettes de la société. Cela peut entraîner des conséquences financières pour les administrateurs, telles que la perte de leurs biens personnels ou l’obligation de verser des dommages-intérêts.

Il est donc important pour les administrateurs de prendre leurs fonctions au sérieux et de bien comprendre leurs responsabilités. De plus, les administrateurs peuvent se protéger contre la responsabilité en intervenant en temps voulu dans les problèmes financiers et en prenant les mesures appropriées pour remettre l’entreprise sur la bonne voie. Il est conseillé de consulter un avocat pour limiter les risques potentiels.

2) Infractions de gestion abusive (article XX.227 du Code économique belge) ;

Les administrateurs peuvent également être tenus responsables s’ils n’ont pas intervenu lorsqu’ils savaient ou auraient dû savoir que la société était en difficulté financière. Si les administrateurs étaient intervenus à temps et avaient pris les mesures appropriées pour améliorer la situation financière de la société, la faillite aurait peut-être pu être évitée.

Cela se traduit par une nouvelle disposition qui empêche la responsabilité de l’administrateur pour la poursuite des activités d’une société alors qu’il n’y avait aucune perspective raisonnable d’éviter la faillite.

En d’autres termes, il savait ou aurait dû savoir que la société était sans espoir. C’est ce qu’on appelle également la gestion abusive.

Le conseil d’administration devra examiner attentivement les circonstances qui indiquent que la société passe de la « continuité » à la « discontinuité ». Ce n’est que lorsqu’il est clair qu’il n’y a aucune chance raisonnable de survie que la responsabilité de l’administrateur entre en jeu.

La question est de savoir quand se situe le point de basculement : à partir de quand l’administrateur a-t-il su ou aurait-il dû savoir qu’il n’y avait apparemment aucune perspective raisonnable de maintenir la société ou les activités et d’éviter la faillite ? À partir de quand l’administrateur n’a-t-il pas agi comme l’aurait fait un administrateur normal, prudent et attentif dans les mêmes circonstances ?

Dans un jugement très intéressant et largement motivé, il est écrit ce qui suit (Comm. Gand, département de Dendermonde, 22 décembre 2014) :

« On ne peut reprocher à un entrepreneur d’utiliser les dernières chances qu’il voit encore raisonnablement. Au contraire, en période économique difficile, il a le devoir de saisir ces opportunités, tant en ce qui concerne l’entreprise que la société.

Affirmer a posteriori que la société n’a aucune chance de survie est donc trop facile. La chute d’une entreprise peut généralement être prédite avec un certain temps d’avance, parfois plusieurs mois. Ces prédictions reposent toutefois sur le fait que l’entreprise disparaîtra dans des circonstances inchangées.

C’est précisément la notion de « circonstances inchangées » qui joue un rôle crucial dans la prévisibilité de la disparition de l’entreprise. C’est également ici qu’une tâche ou une opportunité incombe à la direction, qui peut intervenir dans ce qu’elle contrôle pour inverser la tendance vers la discontinuité.

Les circonstances et les opportunités changeantes sont inhérentes à la vie économique. »

En tout état de cause, les administrateurs devront être très attentifs lors de l’évaluation des documents financiers et comptables de la société. Ne pas se conformer aux règles de l’entreprise, pensons à la procédure d’alerte, peut être un indicateur important pour évaluer si un administrateur a raisonnablement continué une société sans espoir.

Tout cela est très factuel et relève de l’appréciation subjective du juge. Ainsi, la  cour d’appel d’Anvers a statué dans une affaire concernant une entreprise active depuis plus d’un siècle et jouant un rôle économique et social important, que des résultats décevants et une détérioration de la situation de liquidité dus à des facteurs temporaires seuls étaient insuffisants pour affirmer que les administrateurs auraient dû savoir que la société était sans espoir (Anvers, 8 mars 1994).

Cette nouvelle disposition entraîne une règle de responsabilité étendue pour les administrateurs et il est donc préférable pour eux d’être prudents. En effet, dans le cadre de cette disposition, une légère erreur est suffisante et aucun lien de causalité n’a besoin d’être démontré avec le passif net.

Un certain nombre de règles implicites de gestion abusive doivent donc toujours être prises en compte, telles que :

  • la procédure de la sonnette de la sonnette d’alarme ;
  • l’obligation positive de surveillance financière continue ;
  • le test de liquidité pour les paiements (limitation des options de paiement) ;
  • la responsabilité des fondateurs.

Le droit de demander des dommages et intérêts appartient au curateur. Le curateur n’a pas à démontrer un lien de causalité ; une fois la faute présumée admise, le préjudice (partie ou totalité de la responsabilité nette) est établi, et le lien de causalité est également établi par la loi.

3) Les règles spécifiques de responsabilité pour le non-paiement de certaines dettes fiscales et sociales (article 442quater du CIR (retenue à la source) et article 93undecies de la Loi TVA (TVA), tous deux remplacés par l’article 51 du Code de recouvrement fiscal et l’article XX.226 du Code de droit économique) ;

Les administrateurs peuvent être tenus solidairement responsables de tout ou partie des cotisations sociales et dettes fiscales (retenue à la source et TVA) dues au moment du prononcé de la faillite, à l’égard de l’ONSS et des autorités fiscales.

Responsabilité objective pour les dettes ONSS si le administrateur a été impliqué dans au moins 2 faillites ou liquidations où les dettes ONSS sont restées impayées dans les 5 années précédant la faillite, et était également administrateur au moment de la faillite.

  • Présomption de faute pour le non-paiement de la retenue à la source et de la TVA si
    1. au moins 3 dettes impayées n’ont pas été payées dans l’année (pour les payeurs mensuels)
    2. ou au moins 2 dettes impayées n’ont pas été payées dans l’année (pour les payeurs trimestriels).

La présomption est réfutable : le administrateur peut apporter la preuve du contraire.

La présomption ne s’applique pas si le non-paiement résulte de difficultés financières ayant conduit à une réorganisation judiciaire, une faillite ou une dissolution judiciaire.

4) Déclaration tardive de la faillite (article XX.102 du Code de droit économique) ;

La déclaration tardive de l’état de cessation de paiements est imputable aux administrateurs lorsqu’ils savaient, ou auraient dû savoir que les conditions de faillite étaient remplies et que l’obligation de déclaration n’était pas suspendue.

Lorsque la faute, le dommage et le lien de causalité entre les deux sont démontrés, la personne qui n’a pas déclaré dans les délais l’état de faillite peut être tenue civilement responsable de l’augmentation du passif net entre la date d’un mois après la date considérée comme la date de cessation de paiements et la date de la faillite. Il n’y a pas de responsabilité automatique. Plus l’entreprise est grande ou plus la situation est complexe, plus il peut être présumé que le administrateur n’était pas conscient de la faillite.

Le défaut de déposer la faillite dans un délai d’un mois est également sanctionné pénalement par l’article 489bis 4° du Code pénal lorsque le débiteur a l’intention de reporter la faillite. Il doit y avoir une intention spécifique de reporter la faillite.

5) La procédure de la sonnette d’alarme (article 633 du Code des sociétés et des associations, article 332 du Code des sociétés et des associations, et article 431 du Code des sociétés et des associations, ou article 7:228 du Code des sociétés et des associations, article 5:153 du Code des sociétés et des associations, et article 6:119 du Code des sociétés et des associations) ;

Les dispositions susmentionnées imposent aux administrateurs d’une SPRL, SCRL et SA l’obligation de convoquer l’assemblée générale selon une procédure spécifique pour décider de la dissolution de la société lorsque :

(i) les capitaux propres sont négatifs ou sont susceptibles de devenir négatifs (dans les SPRL et SCRL) ou lorsque, en raison des pertes subies, les capitaux propres sont diminués de moins de la moitié du capital social (SA) ;

(ii) le conseil d’administration constate qu’il n’est plus certain que la société (dans les SPRL et SCRL), compte tenu des évolutions raisonnablement attendues, sera en mesure de payer ses dettes pendant au moins 12 mois à mesure qu’elles deviennent exigibles.

6) Responsabilité du fondateur (article 456 du Code des sociétés belge, article 229(1) du Code des sociétés belge, et article 405 du Code des sociétés belge, équivalents à l’article 7:18(2) du Code belge des sociétés et des associations, article 5:16(2) du Code belge des sociétés et des associations, et article 6:17(2) du Code belge des sociétés et des associations);

Si le capital ou les actifs de départ sont apparemment insuffisants, les fondateurs sont solidairement responsables des obligations de la société lorsque la faillite est déclarée dans les trois ans suivant sa constitution. La condition est que le capital ou les actifs de départ étaient apparemment insuffisants pour l’exercice normal des activités prévues pendant au moins deux ans. Un lien de causalité entre la sous-capitalisation et la faillite n’est pas requis.

Le juge doit se placer au moment de la constitution et doit déterminer ce que les fondateurs savaient ou auraient dû savoir à cette époque.

7) Erreur de gestion ordinaire (article 527 du Code des sociétés belge et article 262-263 du Code des sociétés belge, article 2:56 du Code belge des sociétés et des associations) ;

Les administrateurs sont liés à la société par un contrat, et leur responsabilité sera généralement contractuelle. Il s’agit de l’action en responsabilité contractuelle, qui peut être intentée par l’assemblée générale et, en cas de faillite, par le liquidateur.

Pensez aux erreurs de gestion telles que le non-paiement des dettes fiscales et sociales, la supervision insuffisante, les dépenses inconsidérées, le fait de confier la gestion à un tiers qui est alors considéré comme un administrateur de fait, etc.

8) Violations des statuts et/ou du Code des sociétés belge / Code belge des sociétés et des associations (article 528 du Code des sociétés belge, article 263 du Code des sociétés belge, désormais inclus dans l’article 2:56 du Code belge des sociétés et des associations) ;

Les erreurs de gestion basées sur la responsabilité contractuelle peuvent également concerner les violations de la loi et des statuts (par exemple, en ce qui concerne les règles applicables aux conflits d’intérêts, la réalisation d’une réévaluation illégale, etc.).

Il convient également de noter qu’il existe une présomption de responsabilité pour le défaut de dépôt des comptes annuels en vertu de l’article 3:10 du Code belge des sociétés et des associations. Le préjudice subi par des tiers est donc réputé résulter du défaut de dépôt des comptes annuels. Les tiers souhaitant entrer dans une relation contractuelle avec une société doivent pouvoir avoir connaissance de sa solvabilité et donc de ses données comptables récentes.

9) Infractions au devoir général de diligence (Article 1382 de l’ancien Code civil).

Les administrateurs qui commettent un acte délictueux à l’encontre de tiers en sont responsables. Le fait que cet acte délictueux puisse également être imputé à la société ne signifie pas que les administrateurs sont exonérés de responsabilité.

L’acte délictueux des administrateurs peut consister en le non-paiement des salaires, des dettes fiscales et sociales, ou en la prise de dettes qu’ils savaient ne jamais pouvoir rembourser. L’acte délictueux peut également consister en des paiements effectués aux administrateurs, malgré les dispositions prévoyant le caractère non rémunéré de la fonction d’administrateur.

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Il convient de noter qu’une procédure de réorganisation judiciaire préalable n’accorde pas d’immunité en cas d’erreurs de gestion ou de négligence manifeste. Une convocation au service de dépistage, actuellement le KOIM, n’exempte pas non plus les administrateurs de leur responsabilité. De même, le caractère non rémunéré de la fonction d’administrateur ne confère pas d’immunité en cas de négligence manifeste.

Les actions en responsabilité contre les administrateurs pour des transactions liées à leurs fonctions sont prescrites après 5 ans à compter de la transaction. Ce délai s’applique également si la demande est fondée sur une faute quasi-délictuelle des administrateurs (Art. 1382-1883 de l’ancien Code civil).

Si les transactions sont délibérément dissimulées, le point de départ du délai de prescription est fixé à la découverte de celles-ci.

En tout état de cause, il est important de noter que la responsabilité des administrateurs en cas de faillite est une question juridique complexe. Chaque cas est différent et nécessite une analyse approfondie des circonstances spécifiques. En tant qu’experts dans ce domaine, nous vous recommandons de solliciter un conseil adapté de notre part.

Alain Van den Cloot
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